UN JARDIN AVEC UNE ÉCOLE

par Pascale Depienne, le Mercredi 29 Mai 2024

Un jardin avec une école

Un jardin avec une école

Un des principaux facteurs de notre résilience à travers les âges fut la transmission des connaissances nécessaires à notre subsistance. Si depuis toujours celles-ci furent de nature empirique plutôt que théorique, elles étaient notre meilleure assurance contre les aléas de l’histoire de l’humanité : les guerres, les famines, les maladies, les effondrements des Etats ou des civilisations. Empirique signifie que la connaissance a été vérifiée par l’expérience, même si l’on n’est pas toujours capable de l’expliquer. Mes beaux-parents chinois font des associations complexes de légumes, mais ne peuvent pas vous en expliquer la raison : « C’est comme ça qu’on fait » ou « c’est comme ça qu’on m’a appris ».

Imaginons un effondrement quelconque, et il n’est presque pas raisonnable de ne pas imaginer ce cas de figure, le commun des mortels parcourra-t-il indéfiniment la campagne à la recherche d’un signal 4G ? Il semble pourtant évident que les connaissances de base nécessaires à notre survie soient transmises systématiquement aux générations suivantes : hygiène, agriculture, architecture, les différents dangers qui nous menacent. Avec l’industrialisation, la spécialisation et l’urbanisation, nous nous sommes de plus en plus éloignés de ces savoirs et savoir-faire alors que beaucoup de nos grands-parents détenaient encore une partie de ces connaissances. Pourtant, débranchez juste le courant, et nous nous retrouvons presque instantanément démunis. On a parfois l’impression que l’humain moderne a besoin d’une application pour tout faire, et bientôt d’une IA (intelligence artificielle).

L’apprentissage de l’agriculture et de notre interdépendance avec la nature est probablement un apprentissage fondamental pour nos enfants, si bien qu’il a même été rendu obligatoire dans certains pays. Depuis trois ans, j’anime un jardin avec des enfants de l’école primaire de Gencay (Vienne) et nous traversons ensemble la saison au gré des cultures et des saisons. Nous parlons de biodiversité, du fonctionnement de la nature, nous observons et nous cultivons un bout de jardin. Au fur et à mesure du temps, je me suis aperçu qu’il y avait ces deux types de savoir, celui que l’on raconte, et celui qui donne des résultats, conséquences d’actions répétées avec soin. Il est pour moi essentiel que nous produisions efficacement des légumes et que, quand il s’agit de potager, le ludique ne l’emporte pas sur la productivité. Les temps sont durs et chaque légume qui sort de ce jardin a d’autant plus de valeur : cela peut aider les familles à manger des légumes frais de qualité, convaincre les récalcitrants au potager écologique, consolider le lien entre l’école et les parents d’élèves. On ne parle pas ici d’exploitation, ni des enfants, ni de la terre, mais de faire les bons gestes et d’ancrer ces bons gestes dans la mémoire corporelle et sensorielle des enfants. Nous avons donc des temps pour l’observation, pour l’analyse, et des temps d’actions, organisés, efficaces, et contre toute attente, les enfants sont demandeurs. Ils préfèrent, bien sûr, l’utilisation d’outils au désherbage manuel, mais la répétition des gestes cumulée à des résultats positifs me font penser à la manière dont nos ancêtres apprenaient.

Le jardinage avec les enfants a plusieurs vertus, mais une de celles à laquelle on ne pense pas forcément est que le contact avec la terre renforce le système immunitaire et aide à prévenir des allergies chez les enfants. Cela permet de réduire l’agitation mentale, d’améliorer la concentration et l’autodiscipline. Des études* montrent même la présence d’une bactérie responsable de la production de dopamine (hormone du bonheur), d’un meilleur sommeil, d’une meilleure mémoire et réponse immunitaire. La science serait-elle en train de montrer que la plupart de nos maux de sociétés sont liés à notre séparation de la nature ? La conscience de cette interdépendance est l’axe philosophique principal d’un changement de paradigme.

Nous allons bien sûr plus loin que le potager. Les jours de pluie, ou lorsque nous avons de l’avance sur les cultures, nous introduisons les notions d’écosystème et de permaculture. Nous tissons des liens entre la production, le climat, le sol, la biodiversité, la gestion de l’eau, le bâti, la gestion de la fertilité, la circulation, les clôtures... et nous, les petits humains, distingués par d’importantes responsabilités.

À 14h, les enfants entrent dans le jardin et nous prenons ensemble le temps d’observer les changements avant d’en analyser les causes et d’envisager les actions à mettre en œuvre. Évidemment, le désherbage reste l’activité principale même si nous utilisons du paillage dès le mois de mai. Néanmoins, les enfants aiment l’action et ressentent un besoin de s’activer pour évacuer la frustration générée par les heures de classes. Ils se rappellent très bien des routines : préparer la terre, semer, désherber, égourmander, transplanter... et des méthodes agro-écologiques que nous pratiquons : utilisation de bâches pour solariser (désherber sans travailler le sol), utilisation des engrais verts pour désherber et nourrir la faune du sol. Peut-être aurons-nous semé des graines de futurs maraîchers ou de futurs jardiniers ? Nous en aurons besoin, c’est une certitude.

Texte : Pascal Depienne